Contrairement à la vision qu’en ont d’incorrigibles dévots, la Torah n’est pas un texte de morale juive mais, au contraire, un ouvrage complexe, ardu, souvent illisible en dehors du regard déréalisé du kabbaliste. Elle révèle, en premier lieu, un principe d’identité dual déclinant, d’une part, en son recto, l’Être du Créateur (chaque mot constitue l’un de SES Noms) et, d’autre part, en son verso, celui d’un Israël censé reprendre à son compte et perpétuer la mécanique de la création. Cette solidarité circonstancielle se révèle au travers d’un texte dont l’étude, jour et nuit, déroule un processus unique de déconstruction du réel permettant de découvrir l’unité originelle, celle qui précéda la création. Ce système d’unification est censé restituer à l’homme non seulement son propre équilibre, son harmonie profonde, mais également l’exacte mesure de son humanité. Enfin, la Torah s’offre comme une méthode dialectique opposant d’emblée deux variations sensibles d’un seul et même discours, la Amirah (la parole subjective, personnalisée, attentive à l’auditeur) et le Dibour (le dire objectif, dur, difficile, directif, à portée générale).
Nous pourrions, certes, nous contenter d’une telle distribution si elle ne reposait sur un paradoxe. Les dix Paroles de Commencement, au caractère universel évident, s’énoncent en termes de Amirah alors que le Décalogue, en principe réservé au seul Israël (10 dires induisant 613 commandements) relève du Dibour. Et, sauf à opposer l’émergence à l’histoire, la Torah dut les consigner toutes deux, dans une manière de synthèse alternative. En montrant les relations dialogiques, historiques ou virtuelles, liant deux discours fondateurs, le présent ouvrage tente d’instruire la logique interne d’un nouvel espace dialectique, à partir des concepts classiques de l’étude juive, mais également d’identifier cette forme subtile de solidarité qui lierait, depuis des siècles, un peuple particulier à un Créateur forcément universel.